Photographes / Philippe Lopparelli

Autre Eden

Terres Australes et Antarctiques Françaises, 1995

« Il fallait partir. Loin, quitter le monde connu en restant familier à la vie. Partir en France… à l’autre bout du monde. Visiter les TAAF : les Terres Australes et Antarctiques Françaises. L’exactitude des chiffres me rassura. Je savais où j’allais entre le 40ème et le 50ème parallèle. Les marins les nomment « 40ème rugissant » et « 50ème hurlant ». Ces qualificatifs, eux, laissaient espérer l’aventure.

Là-bas, au milieu du néant, vestiges du grand chambardement de la croûte Terrestre, il y a des millions d’années, les îles volcaniques de Saint-Paul, Crozet, Kerguelen et Amsterdam offrent dans l’enfer marin une vision d’Eden. Ici le temps ne passe pas. Ce monde d’avant la création a conservé son apparence première. Sur chaque île, une petite base tente de rappeler au monde qu’ il appartient aux hommes. Une gageure ! Quelques exilés, militaires et scientifiques vivent ici, humblement invités par ces terres. Le chevalier Yves-Joseph De Kerguelen, découvreur de l’archipel qui porte son nom en 1772, fut le premier à comprendre cette réalité : les terres australes n’appartiennent qu’à elles-mêmes.

À peine si la faune qui y habite : manchots, éléphants de mer, otaries ou albatros est-elle plus apte à se faire accepter. Pour le voyageur qui parvient jusqu’ici après une semaine à bord du Marion Dufresne, l’un des rares navires à frayer dans ces parages, il devra faire preuve de beaucoup d’humilité : debout sur une grève désertique, à lutter contre le vent, il comprendra seulement que l’aventure c’est découvrir que l’homme n’est pas à la mesure du monde. »

Marie-Pierre Losfeld