Photographes / Pascal Aimar
LA VIE DE MA MÈRE
2020-2021
« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais. »
Annie Ernaux – Les années
C’est l’histoire du crépuscule d’une vie. J’ai souhaité rendre compte de cette période du grand âge où la perte d’autonomie vous conduit de plus en plus vers la dépendance. Ce sentiment de devoir confier à autrui une partie de vous même, ce moment où l’état présent se dilue dans un brouillard confus, et vous entraîne inexorablement vers la fin.
En 2019, à l’âge de 88 ans, ma mère vivait seule dans son appartement de banlieue parisienne. Elle avait réussi à garder son autonomie malgré une vue défaillante. Mais les premiers signes de la maladie d’Alzheimer sont apparus. Elle a commencé à oublier des événements liés à la mémoire immédiate. Par exemple, elle ne se souvenait plus que je l’avais appelé pour lui dire que je venais la voir et m’ouvrait la porte d’un air interrogatif. Puis, le premier confinement est arrivé et sa solitude est devenue encore plus pesante. Au téléphone, elle me racontait que la rue était calme et que les gens étaient tous partis en vacances. Elle perdait son autonomie et malgré des aides à domicile et des repas livrés, le huis clos de son appartement la rendait dépressive. Situé au dixième étage d’un immeuble des années 70, l’appartement bénéficiait d’une vue ample et dégagée sur Paris et sa banlieue. Les bruits qui montaient de l’avenue la rassuraient, la tour Eiffel qui clignotait la rendait heureuse. J’essayais de venir la voir le plus souvent possible malgré la distance qui nous séparait. Les confinements successifs, les pertes de mémoire, la dégradation de sa vue et de son ouïe, la conduisaient inexorablement vers un monde flou et silencieux. Ces images racontent les dernières années de la vie de ma mère dans son appartement. À l’été 2021, ne pouvant plus rester seule, elle est partie vivre en maison de retraite, où elle est décédée le 3 juin 2023.
Série réalisée dans le cadre du projet collectif Fragiles de Tendance Floue.