Projets Collectifs

La Perspective du Castor

2023

Pour cette immersion dans le Territoire Vendômois, à l’invitation de Zone i, le collectif Tendance Floue a choisi de bifurquer et d’envoyer valser le dogme du documentaire. Il n’en reste pas moins de nombreuses légendes qui ont refait surface lorsqu’ils ont foulé la terre ferme et qu’ils ont glissé au fil de la rivière… des histoires de villages, des contes allègrement absurdes, des histoires imaginées peut-être ? La perspective du castor, c’est une anti-enquête, celle qui vous mène là où vous le souhaitez mais jamais sur le chemin de la vérité. C’est parti d’un questionnement sur la liberté de création. Un questionnement sur la production d’une œuvre. Et un questionnement sur l’identité d’un territoire. Ce projet a donné lieu à une exposition et un livre.

Gilles Coulon

Il fait nuit, et c’est dans cette longue trame noire que je les invite à venir. Instinctivement, les regards s’élèvent vers le dôme obscur, à la recherche de cette lumière qui guidera leurs pas. La clarté fugace de mon flash dissipe les doutes et les ténèbres. Les visages s’illuminent. Ils regardent la nuit, je ne la vois pas.

Grégoire Eloy

On me dit qu’ici il ne construit pas de barrage, mais qu’il a laissé des traces sur un arbre non loin. Il paraît aussi qu’il ne cohabite pas avec le ragondin, ou bien si, je ne sais plus. Mais s’il est quelque part, il est forcément au bord de l’eau. Il suffit d’emprunter le canoë, un peu d’éclairage, de convaincre un ami rameur et de partir la nuit naviguer sur le Loir. Au pire, on trouvera bien autre chose : un renard, un rat, des insectes, le silence, la nuit. On en profitera aussi pour poser les pièges photographiques, on ne sait jamais. Je serai un George Shiras en herbe.

Denis Bourges

C’était il y a fort longtemps, l’eau était fraîche et la lumière était claire, on aurait dit du Vermeer. Dans le lavoir au bord de la rivière, rires et chants, bavardages et commérages résonnaient, cristallins, et se mêlaient aux coups des battoirs et au savon noir. Sous l’eau, un truc passe et sa queue plate se prend dans les draps. Le germe de l’épidémie : la fièvre du castor.

Yohanne Lamoulère

C’était peut-être un peu perdu d’avance… C’était pas une idée finie : construire un radeau à partir de flotteurs solides mais rouillés, quelques planches et un mât bancal. Je voulais aussi faire des drapeaux, inventer une vraie nation, notre indépendance. Sur la route j’ai acheté du tissu qui me plaisait moyen, un imprimé poissons verdâtre et un faux carré Hermès avec un trou de ciseaux dedans. On pensait survivre à tout ça, dépasser. Être plus forts. Vivre sur une île. Buter des animaux sauvages. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. T’as juste le temps de faire deux, trois photos, comme ces cons en paquebot qui font quinze stops en quatre jours sur la Méditerranée sans jamais vraiment s’arrêter, sans rien regarder. Voilà, je regrette pas. On peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre, le cul de la dame et les applaudissement de la foule, et tu vois, il me reste ça.

Mat Jacob

Je les appelle « mes bébés ». Ils se baladent dans le temps. Ils voyagent dans l’espace. Ils n’existent plus tout à fait. On dira aussi qu’ils sont tous nés et morts au Moulin de la Fontaine, à Thoré-la-Rochette. Ils sont les témoins de ce qui s’est passé au creux de la vallée. Ils en ont vu, des histoires. Ils sont la mémoire. Ce sont des pièces à conviction. Figés, prisonniers de leur image, ils sont déjà une photographie avant même qu’on ne les photographie.

Olivier Culmann

D’autres voulaient qu’on leur raconte les contes et légendes de la région. Parce qu’un Parigot, vous savez, quand il va « à la campagne », il se croit au Moyen Âge. Alors il veut du rustique, du tradi, de l’image bucolique. Moi, ce qui m’intéressait davantage, c’était les ragots du coin, les histoires croustillantes, sales et salaces. Ça tombait bien, y avait Clément, qu’est local et loquace, qui me disait que sa grand-mère en connaissait pléthore. Et je peux vous dire qu’il m’en a raconté des vertes et des pas mûres. Je lui ai demandé de me préciser où elles avaient eu lieu, histoire d’en photographier le décor. J’ai tout noté, avec précision – faut être pro quand on est invité par les instances artistiques en place. Mais je dois avouer que je sais plus trop où j’ai rangé ce foutu carnet. Je ne voulais pas l’embêter encore, le Clément, alors j’ai fait les photos au pif. On s’en fout un peu du réel, non ? Du reste, quand j’y repense, je me demande s’il ne s’est pas carrément foutu de ma gueule avec ses histoires vraies et sa vieille grand-mère. Surtout qu’y a un de ses voisins qui m’a dit que l’aïeule, ben elle avait cassé sa pipe y a belle lurette…

Pascal Aimar

A cinq heures du matin, le 3 octobre 2022, je fus soudain réveillé par une onde sonore qui semblait se rapprocher.  Une étrange lumière semblait se dessiner derrière les collines. Malgré l’heure matinale, tous mes sens étaient en éveil et je décidai d’aller voir. Armé de mon téléobjectif de 300 mm, je pris position dans un transat posé au milieu de la terrasse. De ce point de vue, je couvrais un champ d’environ 220°. A moins qu’ils ne surgissent par l’arrière, j’étais sûr de les voir arriver.

Bertrand Meunier

Nous grandissons avec les on-dit, quelques faits divers et cette petite musique lancinante de la rumeur. Il existe également de drôles d’histoires qui se racontent le matin au comptoir du café du village. Elles s’échangent, se déforment et finissent par devenir avec le temps des récits bricolés, un peu bancals, où chaque génération aura apporté son détail à l’édifice narratif. A la fin tout se brouille. La fiction l’emporte. Peu importe. On aime les partager. Elles sont devenues  « légendes ».

Meyer

Dans l’histoire de la nature, je me demande à quel moment de l’évolution l’idée de vivre comme un architecte a-t-elle germé dans la tête du castor ? Comment ce vertébré d’eau douce est-il devenu avec l’humain la seule espèce ingénieure chez les mammifères ? C’est ici que se cache certainement son secret le plus intime, sa perspective inavouée, celle de marcher dans les pas de l’homme.

Alain Willaume

La condition sine qua non d’une résidence artistique est une présence physique sur place de l’artiste invité. Empêché, pour des raisons personnelles, je me suis retrouvé dans l’obligation de décliner l’invitation de Zone i à la résidence collective à Thoré-la-Rochette. Présent sur le site, le photographe Olivier Culmann m’a alors proposé de devenir mon « outil de vision » par le biais de l’écran de son smartphone connecté.

Livre

La Perspective du Castor (ÉDITIONS ZONE I, 2023)

Pour cette immersion dans le Territoire Vendômois, le collectif Tendance Floue a choisi de bifurquer et d’envoyer valser le dogme du documentaire. Il n’en reste pas moins de nombreuses légendes qui ont refait surface lorsqu’ils ont foulé la terre ferme et qu’ils ont glissé au fil de la rivière, … des histoires de villages, des contes allègrement absurdes, des histoires imaginées peut-être ?

Photographies : Pascal Aimar, Denis Bourges, Gilles Coulon, Olivier Culmann, Grégoire Eloy, Mat Jacob, Yohanne Lamoulère, Bertrand Meunier, Meyer, Alain Willaume.
Conception graphique : Monica Santos
Nombre de pages : 128 pages
Format : 14 x 21 cm
Prix : 20 euros

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