Photographes / Yohanne Lamoulère

L’ÎLE

2020

Après plus de dix années passées à photographier Marseille, sa banlieue, son architecture mais aussi les corps qui habitent la ville, Yohanne Lamoulère, à l’aube du confinement, ressent la nécessité de s’en éloigner, pour mieux la retrouver. Dans cette mise à distance d’une ville qui la « mange », elle trouve refuge au sein d’une île qui lui offrira un nouveau souffle, un havre de paix. Peu à peu s’installe pour elle et sa fille Brune qui l’accompagne dans cet exil la liberté extraordinaire de repenser leur monde.

L’île en question se situe sur le delta du Rhône, à quelques encablures de la mer Méditerranée. C’est une île minuscule au sein d’une région sacrifiée. Ici la pollution fait rage et le taux de cancer dépasse la raison. Pourtant, elle porte en elle l’idée de l’utopie. Il n’y a ni électricité ni eau potable et sa situation géographique précise n’est pas dévoilée. C’est un lieu hors du monde où le peu d’habitants qui l’ont bâti en ont fait un endroit quasi imaginaire. Une société – idéale peut-être – régie par d’autres lois, celle de la nature sauvage et de la contemplation. Yohanne et Brune s’ancrent dans cette maison sur l’eau, auprès de l’homme qui vit ici. Une complicité naît entre eux.

La photographe change de focale et apprend à travailler pour l’occasion avec un nouvel appareil. Sa distance au monde et à ceux qui l’entourent en est transformée. Les jeux qu’ils inventent pour déplacer ce réel devenu trop pesant sont envoutants, inquiétants aussi. Les images fantasmées, à l’instar de cette nouvelle vie, nous renvoient à nos contes d’enfance. Ici les personnages se parent de peaux, d’insectes et d’autres artifices pour nous plonger dans d’étranges univers bercés d’innocence, d’inconscience même. C’est dans ce « désir de cabanisation » que se loge le songe de Yohanne Lamoulère. Le rêve d’une île résonne alors en chacun de nous. Tout porte à croire, dans ce « monde d’après » que nous avons tant imaginé, que d’autres chemins sont possibles, à mille lieux des sentiers battus.

Fannie Escoulen