Photographes / Mat Jacob

Chiapas / Insurrection Zapatiste au Mexique

1995-2013

Quand en 1994, le monde découvre le soulèvement des indiens du Chiapas, peu réalisent que c’est d’une nouvelle et durable forme de lutte, rapidement devenue un emblème du mouvement altermondialiste, que témoigne l’objectif de Mat Jacob. Ce travail poursuivi pendant près de vingt ans documente avec empathie et exactitude la formidable épopée d’une révolte qui se veut non-violente et qui prône l’autogestion et la solidarité des communautés autonomes plutôt que l’accès au pouvoir formel (…)

Tous les textes sont extraits du Photo Poche Histoire n°12 : Chiapas, insurrection zapatiste au Mexique. 2015
Merci à Jérôme Baschet, Pascale Egré, Benoît Rivero.

état des lieux

Après dix ans de préparation clandestine dans la forêt tropicale et les hauts plateaux du Chiapas, une insurrection indienne ébranle le Mexique, le 1er janvier 1994, jour de l’entrée en vigueur du Traité de Libre- Echange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Après douze jours d’affrontement, un dialogue s’engage entre l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) et le gouvernement, et aboutit en février 1996 à la signature d’un Accord sur « Droits et culture indigènes ». Mais le président de la République opte pour la para militarisation de la région. Le 22 décembre 1997, à Acteal, 45 indiens tzotzils, principalement des femmes et des enfants, sont assassinés par un groupe paramilitaire, alors qu’ils priaient dans une chapelle.

Le Village

Vingt-cinq familles, soit près de deux cent personnes peuplent Guadalupe-Trinidad. Isolé dans les montagnes de la vallée de San Quintin, au cœur de la forêt Lacandone, ce village d’indiens tojolabals n’a rien perdu de sa foi zapatiste. La lutte de ces paysans qui avaient d’abord fui l’esclavage des grands propriétaires terriens se poursuit. Guadalupe-Trinidad n’a ni route, ni électricité, et rares sont ceux qui en souhaitent l’arrivée. La méfiance à l’égard des autorités gouvernementales nourrit le refus de cette perspective. « Là où il y a des routes, ils mettent des militaires. Là où il y a des militaires, ils construisent des routes ». La fierté de ces hommes, leur foi, accompagne un quotidien où une poignée de grains de maïs ou de café arrachés à la jungle riment avec « Liberté ».

La Rencontre

Après plusieurs mois de préparation, notamment en Europe et sur le continent américain, la Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme, organisée par l’EZLN, s’est tenue au Chiapas, en juillet 1996. Environ trois mille sympathisants, venus de 40 pays, y ont participé. A un moment où la critique du néolibéralisme était encore balbutiante, cette rencontre a fortement contribué à l’essor des mobilisations planétaires contre le néolibéralisme. C’est l’un des antécédents du mouvement altermondialiste, dont la mobilisation à Seattle, en 1999, a marqué le coup d’envoi.

Los Altos

En février 1995, le gouvernement mexicain lance une offensive militaire surprise mais ne parvient pas à éliminer les membres du commandement de l’EZLN. Suite à cet échec, le gouvernement adopte une autre stratégie contre-insurrectionnelle, dite « guerre de basse intensité ». L’armée fédérale appuie la formation de groupes paramilitaires qui sèment la terreur dans les villages zapatistes. Dans la seule commune de San Pedro Chenalhó , dix mille personnes doivent abandonner leurs terres et leurs maisons. Elles trouvent refuge à Polhó qui, de modeste village, se transforme en un vaste camp de déplacés.

La Marche

Le 6 juillet 2000, l’élection de Vicente Fox à la présidence du Mexique met fin à 71 ans d’hégémonie du PRI. Avec l’alternance politique, s’ouvre la possibilité d’une reprise du dialogue. C’est pour demander le vote de cette réforme que les Zapatistes réalisent en février-mars 2001, la Marche de la couleur de la terre. Le sous-commandant Marcos et 23 commandant.e.s zapatistes traversent le pays. Partout, ils sont accueillis avec enthousiasme par la population, qui voit dans l’insurrection zapatiste un ferment de renouvellement et d’espoir face à un système politique corrompu et sclérosé. C’est aussi la force d’un mouvement de résistance civile qui se manifeste tout au long de la traversée du pays à travers les gestes, les regards, le soutien de milliers de personnes venues se presser au bord d’une longue route.

Autonomie

Tout en se sentant profondément mexicains, les zapatistes revendiquent le droit à l’autonomie. Il s’agit pour eux de rompre avec les structures politiques d’un État qui s’est révélé incapable d’honorer la signature des Accords de San Andrés. Ils ont donc mis en place leurs propres instances de gouvernement et de justice avec la création de Conseils de bon gouvernement, instances régionales qui coordonnent l’action des communes autonomes. Ces Conseils ont leur siège dans des centres dénommés « caracoles » (escargot de rivière).

Refusant la moindre aide gouvernementale, les zapatistes ont constitué leur propre système éducatif autonome, ainsi qu’un réseau de dispensaires et de cliniques dans les villages. Ils ont conquis jour après jour, la liberté de se gouverner eux-mêmes et d’œuvrer pour fortifier les formes de vie qui leur sont propres.