Photographes / Céline Croze
Tingis Almaleun
2022-2023
Elle est là, tout autour de nous, comme une sirène qui murmure à l’âme des jeunes hommes et des jeunes femmes, l’inaccessible promesse. Chaque tentative de la posséder se heurte à elle comme un péché originel. Elle est la mer des désirs inaccessibles, celle qui repousse les corps et réduit les rêves à des mirages.
Pour ceux-là, Tanger est une salle d’attente, le terrain d’une résilience étrange où l’homme, pris dans son rêve, s’adapte à l’impossibilité. J’y ai rencontré des êtres qui n’ont pas de maison, pas de place, pas d’avenir. Retourner chez eux serait un échec. La rue devient leur proche, leur intimité. Quand tombe la nuit, c’est un royaume où l’on peut régner. Yassine vend la colle à ceux qui veulent oublier. Sarah et Hind, rejetées par leurs familles, se vendent à l’obscurité. L’une d’elles me murmure : « Elle est trop belle pour être ici. » Alors elles en rigolent, cachées dans la pénombre, en buvant du vin dans une bouteille de coca.
Au petit matin, les hommes sont déjà assis au café clandestin, ils y resteront jusqu’à la tombée de la nuit. Ils roulent des joints dans une lente dérision. Leur dos, leurs mains sont tout ce qu’ils me montrent. Peut-être attendent-ils la mer. La Méditerranée, amante insaisissable, ce fantasme obsédant. Ils l’habillent de la mémoire de leur rêve, de leurs attentes inachevées.
Dans cette ville frontière où tout est possible et rien ne l’est, où tout est proche et tout est loin, l’homme se façonne, se résigne, mais résiste encore. Et moi, qui suis de là, moi qui peux partir, je les regarde se détruire, s’aimer, se façonner dans une danse permanente avec l’impossibilité.
Série réalisée lors d’une résidence organisée par le festival Face à la mer (résidence croisée avec Antoine D’agata à Tanger).




























