Photographes / Celine Croze

Mala Madre

2019-2022, Venezuela

Série lauréate du prix mentor

Film photographique visible sur thedarkroomrumour.com


https://www.thedarkroomrumour.com/en/film/mala-madre-a-photographic-film-by-celine-croze?utm_campaign=Instagram-Post

Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=Q009fwLtj3I

Kalanchoe daigremontiana : espèce de plantes vivaces succulentes, de la famille des Crassulacées, produisant de nombreuses propagules (élément permettant à une plante de se reproduire) sur le bord des feuilles.

« Mala Madre » (mauvaise mère en espagnol) est le nom de cette plante que j’ai découvert dans un cimetière au Venezuela. Là-bas, à la tombée de la nuit, les hommes viennent déterrer des corps et trouver les restes d’or. Les linceuls peuplent le sol et les âmes errent sans repos. Moi, j’étais fascinée par cette plante, sa beauté et comme elle faisait de cet endroit son monde. Sa simple présence donnait vie et douceur à ce lieu totalement profané, comme si elle pouvait guérir les cœurs dans l’éternité.

Sa découverte m’obsédait. Elle avait ouvert une brèche dans ma propre histoire, mon intimité profonde. J’imaginais alors un conte, celui d’une femme, qui attend son amour, il ne viendra plus, elle a fané. Les enfants imaginés ne sont que larmes ; ses rêves, des sacrifices et sa tristesse, si grande, la transforme en Mala Madre. Elle devient alors la mère de toutes les âmes perdues… des « laissés derrières ».

Plus je m’identifiais à cette histoire, plus je touchais à une vérité, plus grande et incontestable. L’abandon.

Depuis 2015, cinq millions de personnes ont quitté le pays en laissant derrière eux leurs enfants, il y aurait aujourd’hui près de deux millions et demi d’orphelins que l’on nomme les « Dejados atras » (les laissés derrières).

Dans ce désert, je traversais les limbes d’un monde au bord du précipice où cohabite la survie et la fuite. Là où les morts et les vivants apparaissent pour mieux disparaître et errent comme les dernières âmes survivant au délire de cette crise extrême.

Le conte, lui, me permit d’ouvrir un dialogue entre le surnaturel et cette réalité tragique.

Je reviens !
Tu m’as dit.
Et tous les matins je regarde ce chemin.
J’attends…
Je t’attends.
Les bruits sourds du désert envahissent la maison vide.
Les cris d’enfants me bercent,
ta voix me fait sortir, ce sont les vautours.
Ils se rient de moi.
Le bouc me regarde
Il est fort!
Comme toi.
Il est têtu !
Comme toi.
Il me dit que vous êtes beaucoup à être parti.
Je ne l’écoute pas.
Je songe à notre vie.
Mon visage a changé.
Mon corps ressemble à ces cactus morts qui crient au ciel des larmes de feu.
La vipère aveugle m’a livré un message
Au cimetière, je t’ai trouvé.
Toi et toutes les âmes dérangées
Ils ont violé ta tombe.
Je te pardonne.
Là-bas… je l’ai vu
La Mala Madre
De la terre elle est venue m’embrasser.
Mes larmes la font grandir.
Ce sont mes chaines que je brise.
Maintenant, je n’ai plus de visage.
C’est rose dans le désert.
Les dejados atrás m’apparaissent pour la première fois.
Ils sont là
Ils ont toujours étés là.
Ils regardent ce chemin.
Ils attendent…
Ils m’attendent.
Ils gardent le secret de l’absence.
Susurrent l’espoir.
Enterre moi à nouveau,
Que ma peau germe.
Des entrailles de la terre, je pousse les étoiles.
De ma peau, ils jaillissent et ils tombent sur le sol.
Ils naissent d’une nouvelle lumière.