Photographes / Alain Willaume
Lieu de plaisir
Strasbourg, 1978-1979.
Lors de la saison de football 1978-1979 à Strasbourg, Alain Willaume s’est faufilé un peu par hasard dans les tribunes du stade de la Meinau avec son appareil photo. Dos à la pelouse, frappé par l’atmosphère et l’ambiance, il réalise un reportage unique à une époque où le foot était encore loin de frayer avec la notion de spectacle. Ce travail a reçu le prix Kodak de la critique photographique 1979.
« Bleus, verts et gris traversés d’une lumière blafarde de néons et de brume.
Grilles hérissées de ferrailles, palissades grillagées, chiens policiers, hommes en uniforme. Les cages des buts sont bientôt des geôles et la lumière tombe toujours, écrase, surexposée, la pelouse aux vibrations d’un verts pisseux. Entre le film-catas-trophe et le souvenir lancinant des premières revues de sport en couleur. Années cinquante et totalitarisme de toujours. Des buts, des cages, des visages survoltés de supporters. Pour quelle rencontre. Troisième type, première division, cellule politique. Le Racing de Strasbourg est en train de remporter le Championnat de France 1979. Contre lui-même, dans une ambiance survoltée dont ne demeurent que la violence froide, l’imbécile confrontation des foules et des pouvoirs, des manipulations. Panem, circenses, photographies.Alain Willaume est venu par hasard, il photographie comme on passe quand on est troublé : pas toujours très bien, mais avec tellement de conviction qu’il reste de cet ensemble sur le stade cinq ou six photographes qui, en plus des tripes, donnent l’image. Et ça méritait bien de revaloriser un prix Kodak de la Critique qui ronronnait depuis quelques années.Aujourd’hui, les images de Willaume dérangent autant qu’elles utilisent réellement la couleur. (…) Il serait trop facile de penser au Chili, de faire des associations d’idées, de lieux qui nieraient les traversées lumineuses. Il vaut mieux se souvenir d’une seule image: de dos dans son enveloppe de plastique argentée par les projecteurs, une silhouette anonyme, la proximité des filets, l’ambiance-froide traversée de la violence des passions. Serein et désespérant, beau et agressif. Lieu de plaisir. Un stade.
La veille de l’inauguration, alors qu’Alain Willaume accrochait son expo, une violente bagarre, avec barricades et blessés a éclaté sur le stade de la « Meinau ». Le photographe était absent pour cause d’expo. »
Christian Caujolle, dans Libération du 1er octobre 1980, « Lieu de Plaisir » d’Alain Willaume. Prix Kodak de la critique 1979.