Photographes / Alain Willaume
De Finibus Terrae
1991-1999
Sombre méditation photographique autour de la notion cartographique et littéraire de « bord du monde », cette quête toujours en cours d’images cueillies au long cours active la friction entre les deux démesures qui hantent ces terres extrêmes : celle du vertige des confins et celle de la violence des frontières politiques. Les hommes sont quasi absents de ces terres d’ombre. Pourtant, des architectures ou des dispositifs oubliés, symboles d’une grandeur passée ou d’une déroute en cours, résonnent de leur intranquillité, de leurs révoltes ou de leurs rêves.
(…) « Quel est le secret des bords du gouffre ? Qu’est-ce qui gît au fond du précipice obscur, au-delà du bouillonnement d’ombre ? » demande Alain Willaume. À cela, ses photos ne peuvent pas répondre. Elles peuvent seulement maintenir la question : regarder, s’enfoncer dans le noir, s’avancer elles-mêmes jusqu’au bord où tout sombre et se fond au noir. C’est peu : ce n’est pas le spectacle, aveuglant, de la guerre ; ce ne sont plus les images toujours trop pleines, trop belles, apaisantes pour finir, des massacres et de la dévastation. Ça ne peut plus, ça ne veut plus faire illusion. Mais c’est cela même qui fait leur force : cet art qu’elles ont de se tenir très exactement là où s’évanouissent, en même temps que le voir, tout pouvoir et toute illusion. (Et peut-être aussi, qui sait, toute possibilité d’établir des frontières étanches entre les genres ennemis de la photographie.)
Extrait de L’autre part de nous de Gérard Haller. Dans Bords du gouffre, Éditions Textuel, Paris, 2003.