LES VIES QU’ON MÈNE
Tendance Floue x Forum Vies mobiles
Avec le mouvement des Gilets Jaunes en 2018, avant même la pandémie planétaire de la Covid, on a compris que tout est mobilité dans nos vies. Mais quelles vies ? C’est le sujet de la mission photographique nationale confiée à Tendance Floue par le Forum Vies Mobiles, institut de recherche sur la mobilité. Pendant plus d’un an, les photographes de Tendance Floue, ainsi que leur invité de Magnum Photo, Jérôme Sessini, ont parcouru les quatre coins du territoire pour documenter la diversité des modes de vie des français au regard de leurs déplacements.
Résultat de cette mission photographique, l’exposition Les Vies qu’on mène, présentée en 2022 à la Cité internationale de Arts à Paris, contient plus de 400 photographies. L’ouvrage éponyme, paru aux éditions le Bec en l’air la même année, s’ouvre sur un texte inédit de l’écrivain Nicolas Mathieu (prix Goncourt 2018 pour son roman Leurs enfants après eux). Tendance Floue a assuré le pilotage, le suivi de production et la direction artistique de ce projet d’ampleur, de la conception à sa restitution, en collaboration avec les équipes du Forum Vies Mobiles.
« Le choix du collectif Tendance Floue a été motivé par la qualité documentaire et esthétique de leurs travaux, mais également par leur capacité et leur plaisir à mener des projets de création collective. Chaque photographe a abordé la thématique imposée de manière originale et personnelle, selon sa propre sensibilité et ses propres choix formels. » Forum Vies Mobiles (dossier de presse de l’exposition)
Gilles Coulon
En roue-libre
Pour fuir la morosité du métro, échapper aux galères de grèves, se faufiler dans la circulation, ou pour le plaisir d’une sortie cheveux au vent, être en deux-roues, c’est se déplacer autrement, plus librement. Frappé par l’agilité de la communauté des deux-roues, Gilles Coulon a souhaité en capter les pratiques à Paris et à Sète, dans une métropole très dense et dans une ville moyenne de bord de mer. Qu’il s’agisse de trajets professionnels, de sport ou de loisirs, qu’ils arpentent l’avenue de Rivoli ou longent la plage, les adeptes du scooter ou du vélo, de la trottinette et de la moto, apprécient de circuler plus aisément et d’une certaine manière… plus gaiement.
Bertrand Meunier
Les Frontaliers
Nadège et Hamady vivent à Stuckange, l’un de ces villages dortoirs investis par des familles au pouvoir d’achat élevé grâce à leur travail au Luxembourg. Le couple possède deux voitures neuves. Nadège parcourt environ 50 000 km par an : éducatrice pour adultes psychotiques, elle rend visite à ses patients, conduit ses enfants à leurs activités sportives, fait ses courses en Allemagne… Hamady, lui, est informaticien dans une banque à Luxembourg-ville où il se rend parfois en train, mais plus souvent en voiture.
Grégoire Eloy
Par monts et par vaux
La division géographique de l’île de la Réunion suffit à révéler la double complexité de la mobilité insulaire. Les « Hauts », ce sont notamment la dizaine de villages enclavés au cœur du cirque de Mafate et ravitaillés régulièrement par hélicoptère, qui ne sont accessibles qu’à pied. L’on y vit du tourisme des randonneurs accueillis notamment dans le gîte de Gilbert.
Les « Bas » sont les pourtours de l’île. Le trafic y est très dense. Willy, 27 ans, les parcourt au volant de son « Vaisseau », une fourgonnette, prolongement de son identité et avec laquelle il se rend à des rassemblements de tuning sur des parkings bétonnés.
Flore-Aël Surun
Vivre à cent à l’heure
Étudiante en lettres à l’Université de Lyon, Cécile est toujours en mouvement. Elle vit dans un appartement situé en centre-ville, qu’elle partage avec trois amis et un chat. Indépendante financièrement, elle est employée dans une boulangerie à la Croix-Rousse une journée et demie par semaine, parfois plus quand elle n’a pas cours. A ses rares moments de temps libre, quand elle n’est pas à la fac, la jeune femme arpente les rues de la ville pour retrouver ses amis dans un bar ou se rendre chez son petit copain.
Philippe Lopparelli
Roulez jeunesse !
Depuis un an et demi, Jade et Quentin, 22 et 23 ans, vivent ensemble et sont déjà bien installés dans une grande maison à Connigis (Aisne) avec leurs deux chiens Charlie et Mango. Jade dirige les Ecuries de la Licorne où elle se rend en voiture en un quart d’heure. Quentin est salarié dans l’atelier de marbrerie de ses parents, à 21 km de la maison. Il circule avec sa voiture et se déplace parfois en camionnette à Paris sur des chantiers. Vivre à la campagne leur permet de profiter pleinement de loisirs en plein air : moto, saut d’obstacle, accrobranche.
Patrick Tournebœuf
Dernière vigie
Jean-Pierre Marquis (66 ans) a ouvert sa station essence en 1981, à Varades (Loire-Atlantique). Il vit avec sa famille à quelques kilomètres de là. Tous les matins, il arrive sur place à 6h45, et reste dans sa station jusqu’à 21h. En théorie, il se déplace peu, mais dans ce commerce à l’ambiance vintage, le service est à l’ancienne : Jean-Pierre sert les clients, et fait chaque jour un nombre incalculable d’allers-retours entre la pompe et sa caisse. Une apparente immobilité, donc, pour un homme qui ne se pose jamais et dont les clients de passage sont par définition inscrits dans le mouvement. Alors que les boutiques et les restaurants des environs ont disparu, la station essence fait office de dernière vigie du bourg.
Meyer
Au pied des Cévennes
Amis de longue date, Félicité et Jean-François vivent en colocation depuis 1999. Outre leur passion pour la littérature, ces deux-là ont aussi en commun d’avoir passé leur vie professionnelle à bouger constamment : Jean-François a projeté des films durant dix ans en brousse, au Sahel, tandis que Félicité était aide-soignante itinérante et sillonnait les routes pour se mettre au service des autres.
En 2020, c’est une maison au pied des Cévennes qui leur donne un nouveau projet de vie : se poser, enfin, et profiter d’une retraite douce et sereine !
Olivier Culmann
Chronique d’une année immobile
La pandémie nous a contraints à l’immobilité. Pendant un an, Olivier Culmann a saisi les enjeux de cette paralysie inattendue dans son environnement immédiat. Cloués au sol, leurs projets suspendus, ses proches et lui traversent cette épreuve, ensemble ou séparés, à la fois contemplatifs et frustrés. L’expérience du temps supplante celle de l’espace. A sa fenêtre, il réalise des clichés d’un arbre au gré des jours et des nuances du ciel. Le retour au mouvement n’est pas sans contrainte. Au moment du déconfinement, la mobilité a dû être fondamentalement repensée.
Denis Bourges
Médecin de campagne
Depuis 2012, le docteur Guillaume est médecin à Ploërmel (Morbihan). Il reçoit ses patients à son cabinet et effectue également de nombreuses visites à domicile. Il se déplace en voiture dans un rayon de 20km. Dans cet environnement rural, il assure un rôle précieux : la vie de certains de ses patients, plus ou moins vulnérables ou isolés, est en effet rythmée par ces consultations médicales régulières ; comme Virginie (92 ans) qui vit avec sa fille Blandine (65 ans), Jean-Yves (58 ans), en arrêt maladie longue durée, ou encore Emmanuelle(38 ans) et sa famille de trois enfants.
Caty Jan et Denis Bourges
Le Club des Six
Caty Jan est photographe, co-fondatrice de Tendance Floue. Handicapée depuis 2003, elle se déplace en fauteuil et souffre de troubles neurologiques qui altèrent sa communication verbale. Elle réside dans le Var, au « Club des 6 », un lieu de vie solidaire où cohabitent et s’entraident six adultes handicapés encadrés par des aidants. Denis Bourges les a photographiés lors de sorties où ces corps vulnérables sont remis en mouvement dans l’eau, à cheval, renouent avec le frisson de la vitesse à bord d’un karting, accompagnés de Sophie, une aidante ; lors de séances de kinésithérapie où ils travaillent à regagner de la mobilité. Caty se photographie parfois seule, à l’instinct, car sa vue est diminuée. Sabrina et Jérôme, deux résidents handicapés, encadrés par Denis Bourges, photographient eux aussi le quotidien de ces corps accidentés.
Alain et Claude Willaume
Une vie de voiture
En feuilletant les albums photos de sa famille, l’omniprésence de la Citroën sur les clichés pris par Claude, son père, a sauté aux yeux d’Alain Willaume. Dans les souvenirs de vacances bien sûr, mais dans tous évènements du quotidien également : pique-niques, sorties avec les enfants ou en couple, photos de famille… lors des événements qui ponctuent l’histoire d’une vie… La Citroën, membre à part entière de la famille, témoin de toutes ses aventures. Claude, est né en 1932. Cadre commercial dans l’automobile, il a sillonné la France et l’Allemagne de l’Est au volant des véhicules qu’il vendait. Pour représenter la célèbre marque à chevrons, il a calculé qu’il avait fait près de deux millions de kilomètres… soit plusieurs fois l’équivalent de la distance Terre / Lune !
Mat Jacob
Circuit court
Le « circuit court » – c’est le principe fondamental de l’épicerie associative Le Comptoir des Cocottes située dans un village du Loir-et-Cher. Bénévoles et producteurs locaux travaillent ensemble et ne comptent pas les heures qu’ils passent à sillonner inlassablement la campagne environnante, en voiture ou à bord d’engins de toute sorte, pour assurer l’approvisionnement en produits locaux et biologiques. Les consommateurs viennent souvent à pied à l’épicerie et participent eux aussi au maillage social que tisse Le Comptoir des Cocottes. Ensemble, ils en font un lieu convivial et solidaire.
Pascal Aimar
La vie en grand format
Alina aime le changement. Après avoir été aide-soignante en région parisienne durant vingt ans, elle a décidé d’exercer son métier en Auvergne. Et puis en 2019, sa vie a pris un nouveau tournant, grâce à un projet très personnel : un commerce mobile de produits locaux et bio, vendus sans emballage. Au volant de son camion, Alina parcourt désormais les environs de Clermont Ferrand pour aller directement à la rencontre de ses clients, sur les marchés ou les places des villages, souvent désertés par les commerces. Pour expliquer l’importance de consommer mieux, en privilégiant le bio et le vrac, Alina ne compte ni ses heures, ni les kilomètres. Billom, Chamalières, Champeix…Elle est constamment sur la route et ses journées débutent à l’aurore.
Yohanne Lamoulère
Sur la route
Dans la famille d’Amélie (22 ans), on est camionneur de père… en fille. La jeune femme a grandi à Arles, près de l’entreprise de transport fondée par son grand-père, qui emploie aussi sa mère, sa soeur et son oncle. Depuis deux ans, Amélie est chauffeuse et assure les trajets sur l’axe le plus fréquenté de la région Occitanie, entre Arles et l’Espagne. Une vie sur la route, faite d’imprévus et de routine, puisqu’Amélie ne sait jamais à l’avance dans quelle zone industrielle aura lieu sa prochaine ramasse, mais assure chaque semaine deux rotations vers l’Espagne.
Thierry Ardouin
Sur la vague
Frank est saisonnier, il vit pour la glisse. Plus jeune, il travaillait l’hiver comme moniteur de ski à la montagne, et consacrait les mois d’été à enseigner le surf au bord de l’océan. Aujourd’hui, c’est le surf qui l’emporte. Il s’est installé à Hendaye où il tient une école de surf et une boutique de location de matériel sur la plage. Son existence est entièrement rythmée par les arrivées des vacanciers et par les éléments. Il surveille constamment les vagues, pour maximiser les moments de glisse et saisit chaque occasion de se mettre en mouvement sur la côte entre Hendaye et Biarritz, mêlant ainsi sa passion à son travail.
Exposition
Résultat de la mission photographique confiée à Tendance Floue, l’exposition Les vies qu’on mène présente plus de 400 photographies à travers un parcours structuré en 4 grandes parties. Elle propose au visiteur une incursion sensible dans le quotidien des français tout en lui donnant l’occasion d’une réflexion sur son propre mode de vie.
Historique de présentation
CRI des Lumières (Lunéville, France) / 2024
Raon l’Étape, France / 2023
Cité internationale des Arts (Paris, France) / 2022
LIVRE
Éditions Le Bec en L’Air, 2022
Les 18 récits photographiques de l’exposition Les vie qu’on mène sont rassemblés dans le livre éponyme, accompagné d’un texte inédit de Nicolas Mathieu. L’écrivain, dont on connaît le goût pour la description d’une France périurbaine, se livre à une histoire personnelle de ses déplacements. Qui mieux que lui, qui rappelait dans Leurs enfants après eux que « chaque plaisir nécessitait du carburant », pour s’inspirer de cette collection de romans-photos et restituer avec malice ces multiples et minutieux arrangements quotidiens que chacun doit faire et peut faire grâce aux déplacements ? Le Goncourt 2018 passe au récit autobiographique pour mieux saisir ce qui nous concerne tous. On n’a pas fini de se demander là où on veut aller.
Photographies : les photographes de Tendance Floue et leur invité de Magnum Photos, Jérôme Sessini
Textes : Nicolas Mathieu
Nombre de pages : 256 pages
Format : 18 x 25,5 cm
Prix : 23 euros