Bertrand Meunier
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  • Paysans ordinaires

    Automne 2006, à la rencontre des paysans chinois, ces presque 800 millions d’âmes que l’actualité mondiale évoque le plus souvent pour évoquer leur indicible misère ou leurs sporadiques jacqueries contre les potentats locaux du Parti. Ceux que nous avons croisés au fil de nos déambulations sur les petits chemins de campagne de Chine profonde étaient pourtant des gens ordinaires au sourire chaleureux et communicatif. Pauvres, certes, mais pas misérables pour autant.
    Nous avons surtout eu la surprise de constater qu’il n’y a plus de paysans en Chine. Du moins plus de paysans à plein temps.
    Simplement parce que depuis que le régime communiste a décidé, dans les années 90, de geler l’attribution des surfaces arables à une population rurale en augmentation constante, il est devenu mathématiquement impossible de faire vivre une famille avec le seul produit de la terre. Alors aujourd’hui, hommes comme femmes, les campagnards de 16 à 60 ans partent tous, à un moment ou à un autre, louer leurs bras sur les chantiers ou dans les usines de ces villes chinoises dont l’économie n’en finit pas d’exploser.
    Certains de ces mingong («paysans-ouvriers») n’iront jamais plus loin que le chef-lieu de canton alors que d’autres traversent le pays pour rejoindre les métropoles industrielles des zones côtières. Mais tous s’échinent jour et nuit, en acceptant des conditions de logements spartiates et en serrant les dents devant le mépris latent que leur témoignent les citadins. Non pas pour garantir une survie alimentaire, désormais acquise dans les campagnes grâce aux progrès des techniques agricoles des dernières décennies. Mais plutôt pour pouvoir assurer tout le reste dans une société qui, après 20 ans de croissance express, est devenue plus exigeante sur sa qualité de vie.
    S’ils sont aussi nombreux à faire la navette entre champs et villes, c’est donc bien pour gagner de quoi remplacer la masure familiale de briques par une maison moderne carrelée de frais ou pour pouvoir payer les soins de santé de leurs vieux parents, les grands oubliés des mutations économiques en cours. Et plus encore pour permettre à leurs enfants d’avoir accès à une bonne éducation et ne pas les condamner d’office à cette épuisante et si flottante condition de travailleurs migrants qui est devenue le lot des générations paysannes à la charnière entre l’ère maoïste et celle du socialisme de marché. Des enfants que peu d’entre eux voient grandir, à l’exception d’occasionnels séjours à la ferme au moment du Nouvel An chinois ou des moissons. Le reste du temps, c’est aux grand-parents que revient la mission d’élever les plus petits dans des villages aujourd’hui largement désertés par les adultes.

    Série réalisée en collaboration avec la journaliste Stéphanie Ollivier, avec le soutien du Musée Nicéphore Niépce.

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